Le son de la colère

Je ne trouve pas d’exemple de mouvement de contestation sans musique, de révolution sans chanson. La musique accompagne les mouvements de colère en leur donnant une forme, des mots, un rythme auquel marcher ensemble, et un cri de ralliement. Quand en 1942, la jeune russe Anna Marly compose le chant des partisans, elle est exilée à Londres avec son mari, et engagée volontaire dans les cantines du QG des Forces Françaises Libres. Joseph Kessel et Maurice Druon en écrivent les paroles en français, et le chant devient l’emblème de la résistance et le cri de rassemblement de tous ceux qui s’opposent.

Le hip hop est né de la dénonciation de la ségrégation, et le rap lui a emboîté le pas dans l’expression des colères : Mots scandés, rythmés, messages forts qui viennent nourrir et canaliser l’émotion en devenant un mouvement de ralliement autant qu’un courant artistique.

« J’essaie de canaliser ma rage,
Dans mes traversées régulières de la ville,
De la colère et de la frustration je fais de l’énergie.
Je trace de l’est de New York jusqu’aux banlieues.
Gardien de la lumière, chercheur de savoir.
La tension qui oppresse mon esprit
Devient la voix qui secoue tes enceintes.  »
— Guru, Lookin’ Through the Darkness, 1995

Ces musiques ont pour effet de rallier de nouvelles personnes à la cause qu’elles défendent en créant un vrai effet amplificateur, mais également de canaliser et réguler l’émotion en lui donnant une forme et une direction.

D’une certaine manière, elles permettent à la colère de ne pas se muer en violence, et de trouver plutôt un mode d’expression à large portée, et audible par tous.

Dans l’entreprise, quelles sont les colères qui s’expriment et quels supports ont-elles pour s’exprimer ?

Les situations et décisions injustes - ou vécues comme telles - sont probablement la source principale de colère dans l’entreprise. Le manque de respect, le harcèlement, et les humiliations complètent le tableau de ce qui peut déclencher cette émotions, individuellement ou collectivement. Et comme il n’est pas toujours facile d’exprimer la colère sur le lieu de travail, elle prend parfois des formes silencieuses qui sont dommageables aux personnes comme à l’entreprise : désengagement, démotivation, absentéisme…

Alors comment dire “stop” d’une manière constructive ?

1/ Reconnaître notre émotion : quelle forme a-t-elle, quelle couleur, quel goût, quelles sensations physiques?

2/ Cherchez la source de l’émotion : qu’avons-nous subi que nous n’aurions pas dû subir? En parler autour de soi peut aussi permettre d’affiner notre compréhension de ce qui nous a mis dans cet état, en comparant nos perceptions avec celles d’autres personnes en qui nous avons confiance .

3/ Identifiez à qui ou à quoi nous aimerions dire “stop” . Il peut s’agir d’une personne mais également d’un système. Il y a souvent des jeux psychologiques en entreprise, dans lesquels les rôles classiques de “victime”, “bourreau” et “sauveur” décrits par Stephen Karpman dans son “triangle dramatique” ont tendance à tourner en boucle. Le fait d’identifier ces différents rôles et de prendre conscience de sa propre propension à endosser le rôle de victime, de bourreau et de sauveur, est déjà un pas de géant vers la sortie du triangle.

4/ S’entraîner à dire “stop” dans des situations à moins fort enjeu, et de différentes manières : dans quelles situations peu critiques pourrions-nous dire à quelqu’un “ça ne me convient pas”?

5/ Elaborer notre stratégie : “le bon message, à la bonne personne et au bon moment” pour que notre “stop” soit entendu. Et s’il le faut, chantons-le pour rallier une communauté à notre cause ;)

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