Elle a d’abord eu un parcours professionnel hors du commun en France : entrée en 1988 chez Auguste Thouard (devenu Atisreal Auguste Thouard, puis racheté par BNP Paribas Real Estate), elle en devient, à peine six ans plus tard, la première femme "Directrice Associée" dans un monde en grande majorité masculin et réputé pour son machisme. Une démonstration de force et de talent qui se prolonge dans les années qui suivent, lorsque l’équipe qu’elle dirige devient la référence, l’équipe pilote dont on vient observer les "best practices", dont les performances et la productivité sont meilleures qu’ailleurs… et où le taux de femmes et de maternités est aussi le plus élevé de l’organisation !
Lorsqu’on lui offre en 2001 le poste de Directeur Général de la filiale espagnole qui compte 200 salariés, Myriam Fréval n’hésite pas longtemps et se lance dans l’aventure. Mais c’est une période difficile pour le secteur immobilier, et la lourde tâche qui l’attend consiste à restructurer les activités et à diminuer les coûts, dans un marché en perte de vitesse et dont les perspectives semblent limitées. Après 4 ans de ce régime de restrictions et de réorganisations, et souhaitant retrouver le contact direct avec ses clients ainsi qu’une plus grande souplesse d’adaptation au marché, Myriam Fréval négocie son départ et décide de créer sa propre structure en Espagne. De son point de vue, le rôle d’un dirigeant dans le secteur de l’immobilier ne peut se limiter au management : il doit aussi et surtout créer du chiffre d’affaires et de nouvelles opportunités, puis les transmettre à ses équipes pour qu’elles les mettent en œuvre. C’est donc dans cet esprit qu’elle crée ADYTON, cabinet de conseil aux utilisateurs d’immobilier d’entreprise. Elle optimiste les surfaces, aménage les bureaux, renégocie les loyers (2e poste de coûts après la masse salariale), et réalise de très belles opérations : les nouveaux sièges sociaux d’Everis Consulting, de Samsung, Bureau Véritas, Athos Origin… Lorsqu’elle a l’opportunité, quelques années plus tard, de vendre sa société à un groupe franco-américain, Myriam Fréval accepte et gère la transition, car elle sent que le marché est à nouveau en mutation, se diversifiant vers les travaux pour compenser la nette diminution du nombre de mouvements de société, et cherchant de nouveaux débouchés sur un marché devenu trop petit pour les trop nombreux acteurs qui s’y battent. Convaincue que c’est bien l’entrepreneur qui doit s’adapter au marché et non le contraire, Myriam Fréval monte alors une nouvelle société en 2012 : Athol Asset, spécialisée dans l’investissement immobilier international. Basée en Espagne mais réalisant des transactions dans beaucoup d’autres pays, Myriam Fréval représente quelques grands clients internationaux qui achètent des immeubles de bureaux et les rentabilisent, sans faire de publicité sur leurs opérations. Elle est l’unique interface de ses clients, chef d’orchestre qui délègue ensuite à un réseau d’experts les réalisations d’études de marché, les dossiers juridiques, et les recherches de niches de rentabilité. Elle considère que la valeur pour ses clients se trouve justement dans cette interface unique et multifonction, capable de construire des projets sur-mesure. Le lien au travail, polarité très marquée entre Espagne et France Si Myriam Fréval travaille avec un nombre réduit de très proches collaborateurs, au centre de son réseau d’experts indépendants, c’est aussi parce que ses précédentes expériences de management d’équipes espagnoles l’ont amené à faire un constat difficile: sa conception du travail n’était rigoureusement pas la même que celle de la plupart des collaborateurs qui ont croisé sa route. Impliquée à l’extrême dans son travail, investissant 15 heures par jour dans la réalisation des opérations et la recherche de nouvelles opportunités, faisant régulièrement passer sa vie professionnelle avant sa vie privée, Myriam Fréval se heurtait souvent à un rythme quasiment opposé chez ses collaborateurs. Lorsqu’ils arrivaient vers 9h30, elle était déjà au travail depuis un bon moment, ne s’arrêtait pas pour déjeuner, et les voyait partir le vendredi à 15h avec effroi quand elle savait la quantité de dossiers qu’elle avait encore devant elle. Selon elle, l’explication se trouve dans le fait que les collaborateurs qu’elle a rencontrés accordaient plus d’importance et d’énergie à leur vie privée qu’à leur vie professionnelle, considérée parfois davantage comme une représentation et un titre que comme une réelle source d’épanouissement, d’implication et de reconnaissance. Elle a rencontré dans son pays d’adoption un lien au travail plus léger, moins entrepreneurial et moins impliqué que ce dont elle avait l’habitude en France. Sagesse ou défaut d’ambition, le point n’est pas de juger si une attitude est meilleure que l’autre, mais de constater cette polarité et de voir de quel côté on se situe et quel type de dialogue et de collaboration on peut construire avec l’opposé. Myriam Fréval, si impliquée, entière, et exigeante pour elle-même, a pour sa part fait le constat qu’elle parvenait mieux à servir ses clients, respecter son propre rythme et être cohérente avec sa culture de travail lorsqu’elle agit de manière indépendante, en réseau avec d’autres experts indépendants, plutôt qu’en dirigeant une équipe de salariés. Les 3 conseils qu’elle donnerait à un manager français qui arriverait en Espagne le mois prochain ? - Maintenir une certaine hiérarchie et établir un cadre de travail clair - S’assurer de la mise en œuvre effective et ne pas hésiter à pratiquer le "double check" - Constituer des équipes mixtes : non seulement hommes/femmes, mais aussi jeunes/anciens, et surtout mixtes culturellement, avec des salariés de pays différents, pour favoriser et entretenir la curiosité, l’ouverture d’esprit et la souplesse. Propos recueillis pour lepetitjournal.com par Laure Helfgott, Coach certifiée HEC Paris Cette interview se place dans le cadre de l'étude qu'elle mène à Madrid, en partenariat avec lepetitjournal.com et La Chambre, sur l'influence de la culture espagnole dans les pratiques managériales des dirigeants français en Espagne.
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CHRONIQUE DU MANAGEMENT EN ESPAGNE - Cyrille Mascarelle à propos de la "journée intensive"10/20/2014
A l’occasion du rachat de la société Victoria Seguros par le groupe SMABTP en novembre 2011, il se voit proposer une place au sein du comité de direction de ce grand groupe. Mais en mars 2013, lorsque l’ancien directeur général d’ASEFA Seguros –filiale de SMABTP– tombe gravement malade, le président du groupe voit en Cyrille Mascarelle la personne la mieux placée pour prendre la direction de la filiale au pied levé, du fait de ses connaissances approfondies de l’assurance et de l’Espagne.
Pour Cyrille Mascarelle, c’est à la fois un défi et un choc. Il doit en effet, quasiment du jour au lendemain, sortir du rôle de consultant pour prendre les manettes du dirigeant et affronter de surcroît l’une des plus grosses crises que l’entreprise ait jamais traversée. Sa première année ressemble à un parcours du combattant : il apprend à décider, parfois avec une visibilité réduite, à faire des choix et se forger des convictions, à assumer les conséquences de ses décisions, et accepte de ne pas être toujours populaire. En effet, les restructurations et plans sociaux, même lorsqu’ils sont reconnus comme inévitables et nécessaires par les salariés de l’entreprise, n’en restent pas moins douloureux à traverser et à gérer, et sont facteur d’éloignement et de méfiance vis à vis du dirigeant. Or, loin de l’image véhiculée du consultant qui nettoie puis repart aussi vite qu’il est venu, Cyrille Mascarelle restructure pour assurer la survie de l’entreprise, puis reste et assume jusqu'au bout la responsabilité des décisions difficiles qu’il a dû prendre. Lorsque l’on souligne le courage qu’il faut pour mener un plan social, Cyrille Mascarelle repousse le compliment et place le courage chez ceux qui, bien qu’ayant appris leur licenciement, continuent à se dédier à l’entreprise et à donner leur temps pour mener à bien leur mission. Ce sont peut-être cette humilité et cette reconnaissance des efforts et des qualités de ses salariés qui lui permettent aujourd’hui de recréer les liens malmenés par la crise traversée. Un régionalisme parfois déconcertant et une "journée intensive" étonnamment légère Parmi les éléments qui le surprennent encore en Espagne, il y a l’hétérogénéité : chaque région fonctionne de manière si autonome qu’il est quasiment impossible de développer des affaires dans une autre région sans s’appuyer sur des représentants locaux, en particulier dans deux régions très marquées culturellement : le Pays Basque et la Catalogne. Mais du fait de leur frontière commune, les Français, bien que non locaux, y sont plutôt bien reçus. Ce point est si marqué que Cyrille Mascarelle a eu la surprise, lors d’une conférence sectorielle en Galice l’année dernière, d’entendre parler des "exportations" de la Galice... vers les autres régions d’Espagne ! Il y a souvent deux niveaux de langage : le régional et le national, et deux niveaux de lecture à prendre en considération : la région vers les autres régions, et la région vers les autres pays. Son autre motif d’étonnement est la "journée intensive" 8h-15h, tant par le terme employé que par sa pratique généralisée. Chez Asefa Seguros, elle est de rigueur en été, de mi-juin à mi-septembre, avec une exception le vendredi où tous les salariés finissent à 14h30, et également pendant la semaine de San Isidro à Madrid en mai. Et si Cyrille Mascarelle ne manifeste aucune velléité de changer cette habitude bien ancrée et inscrite dans la convention collective, il reconnaît néanmoins qu’il est parfois difficile d’expliquer à la maison mère qu’il vaut mieux appeler l’Espagne le matin, car il y a beaucoup moins de monde l’après-midi… Au-delà de cette particularité estivale, il observe aussi une vraie culture des échanges informels. Même dans la journée non intensive –donc de 8h à 19h (!)- un créneau est réservé le matin au "desayuno" pris dans le restaurant d’entreprise et mis à profit pour les échanges informels. Cette tradition convient bien à Cyrille Mascarelle, mais il conçoit aisément que ce soit plus difficile à comprendre pour des Anglais ou des Hollandais. Beaucoup de décisions en Espagne se prennent ainsi autour d’un café plutôt que d’une table de réunion. Et il n’existe pas de réunion qui commence à l’heure, suive l’ordre du jour prévu, et se termine à l’heure avec l’ensemble des sujets clos. A cet effet, il est souvent difficile, voire impossible, dans une multinationale, d’appliquer dans la filiale espagnole des standards d’organisation et de reporting uniformisés. De même, Cyrille Mascarelle observe que les expériences de team-building qui fonctionnent dans certains pays sont assez mal reçues en Espagne et ont un succès plutôt limité. Les équipes sont naturellement motivées, et accordent une importance capitale à la qualité des relations entre les personnes et à la bonne ambiance. Or ce n’est pas un événement de team-building isolé qui crée la bonne ambiance selon eux… contrairement au petit-déjeuner chaque matin ! Les 3 conseils qu’il donnerait à un manager français qui arriverait en Espagne le mois prochain ? - S’intéresser au sport ! A tous les sports - Parler parfaitement espagnol, et ne pas s’attendre à pouvoir travailler dans une autre langue - Considérer que l’Espagne n’est pas un pays homogène mais une somme de régions dans lesquelles on ne travaille pas de la même manière, et pour lesquelles on doit donc envisager une approche spécifique, non seulement d’un point de vue culturel, mais également d’un point de vue légal. Propos recueillis pour lepetitjournal.com par Laure Helfgott, Coach certifiée HEC Paris. Cette interview se place dans le cadre de l'étude qu'elle mène à Madrid, en partenariat avec lepetitjournal.com et La Chambre, sur l'influence de la culture espagnole dans les pratiques managériales des dirigeants français en Espagne. Cette étude sera présentée lors d’une conférence à La Chambre début 2015.
En 1984, Clotilde Bertemier se retrouve en Espagne chargée du lancement et de l’exploitation du réseau La Croissanterie, ouvrant de nombreux points de vente au fur à mesure de l’essor des centres commerciaux, jusqu’à ce que la marque devienne à l’époque la première chaine de restauration rapide française en Espagne : 30 magasins, 150 personnes et une amplitude horaire très large 10h-22h.
Pendant 5 ans, Clotilde Betermier développe ainsi l’entreprise, écoute, s’adapte, se familiarise avec son nouveau pays, puis ressent l’envie de bouger et d’aller vers une structure plus petite et plus souple. Elle crée alors Intro Ibérica, une agence de conseil en implantation en Espagne, qui apporte à d’autres entreprises françaises le fruit de son expérience espagnole des cinq années précédentes. De nombreux clients lui font confiance : Hermès, Celio, Groupe Tesson, Lalique, Grand Optical... Et c’est en écoutant les désirs d’un de ses clients que Clotilde Betermier développe peu à peu un nouveau métier : les relations presse. Elle s’y forme, développe ses activités sur ce thème et gagne peu à peu la confiance de grands groupes internationaux qui la chargent de leur image en Espagne, en abandonnant progressivement le conseil en implantation. Dans ses bureaux de Calle Velázquez, Intro Ibérica compte 9 salariés espagnols pour servir une vingtaine de clients sur deux principaux secteurs : biens de consommation et haute technologie (B2B et B2C). Elle assure pour eux à la fois les relations presse et la gestion des réseaux sociaux, prenant en charge le "community management" et la gestion des comptes Twitter, Facebook, ou encore la création de contenu pour les blogs de ses clients. Flexibilité et polyvalence : l’ADN du salarié espagnol Quand elle compare les habitudes de travail en Espagne par rapport à la France, Clotilde Betermier observe une grande flexibilité des salariés espagnols. Ils savent valoriser ce qu’ils ont déjà, plutôt que se focaliser sur ce qui leur manque, s’adapter en souplesse plutôt que se braquer, et accepter de sortir du cadre de leur contrat initial lorsque les circonstances le demandent. Une flexibilité et une polyvalence que Clotilde Betermier reconnaît et apprécie à sa juste valeur. La construction d’Intro Ibérica s’est d’ailleurs faite de manière progressive, sur un mode de co-construction avec les salariés, à la recherche d’un équilibre toujours à réinventer, et reposant sur une grande écoute, de la disponibilité, beaucoup de respect mutuel… et une certaine fermeté ! L’équilibre entre vie privée et vie professionnelle est une source de fierté pour Clotilde Betermier ; d’une part celui qu’elle a réussi à construire pour elle-même et à ré-adapter constamment depuis 25 ans, et d’autre part celui qu’elle permet à ses équipes d’atteindre. Il lui semble en effet important, à l’intérieur d’un programme de travail défini, que chacun puisse être libre de ses horaires et de les adapter à ses contraintes familiales… tout en y mettant certaines limites, notamment pour éviter les sensations d’injustice entre les salariés. De manière générale, cette flexibilité est aussi le reflet d’un bon esprit au travail. Les équipes sont motivées, dévouées, positives, et cela se ressent jusque dans le langage: les expressions qui fleurissent "Por supuesto", "Adelante", "Vamos", "Lo vamos a conseguir"… sont autant de signes d’énergie et de courage. Une flexibilité qui ne va pourtant pas jusqu’à la mobilité géographique Clotilde Betermier regrette qu’il soit si difficile de faire bouger géographiquement les salariés espagnols. Confrontée à ce phénomène d’attachement fort à la ville d’origine, elle avait déjà eu toutes les peines du monde à trouver pour La Croissanterie des salariés qui acceptent de partir, ne serait-ce que quelques mois, dans une autre ville pour gérer l’un des nouveaux points de vente. Mais ce point est en train d’évoluer, avec de jeunes générations plus enclines à envisager la mobilité géographique, y compris internationale. Clotilde Betermier observe à cet égard une plus grande curiosité et davantage d’initiative chez les jeunes salariés qu’elle encadre désormais que chez ceux qu’elle encadrait il y a 20 ans. Les 3 conseils qu’elle donnerait à un manager français qui arriverait en Espagne le mois prochain ? - Observer, écouter, comprendre avant de décider, et valoriser plutôt que juger ce qui a été fait jusque là. Les Français ont parfois la réputation d’arriver en terrain conquis et de changer les choses un peu trop vite. - Ce manager sur le point d’arriver en Espagne pourrait également s’abonner à l’édition espagnole du Petitjournal.com [merci ! ndlr], qui donne un panorama très clair de ce qu’il se passe en Espagne, et s’abonner au service presse de l’Ambassade de France en Espagne. - Apprendre vite, bien, et intensément l’espagnol ! Propos recueillis pour lepetitjournal.com par Laure Helfgott, Coach certifiée HEC Paris. Cette interview se place dans le cadre de l'étude qu'elle mène à Madrid, en partenariat avec lepetitjournal.com et La Chambre, sur l'influence de la culture espagnole dans les pratiques managériales des dirigeants français en Espagne. |
AuthorLaure Helfgott Archives
October 2020
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