par Laure Helfgott
Alain Harfouche a commencé sa carrière chez Häagen Dazs en France, où il a passé 9 ans à développer les ventes et gérer le réseau, à Paris comme en Province, jusqu’à être nommé un jour à Aix-en-Provence. C’est dans cette ville, berceau de L’Occitane, qu’il découvre la jeune marque en pleine expansion et se laisse tenter par le défi qu’elle lui propose en 2003.
Aujourd’hui, Alain Harfouche compte 20 années d’expérience en Retail, dont 12 chez l’Occitane, en ayant toujours géré des équipes. Et lorsqu’il arrive en Espagne en 2009 pour y développer l’Occitane, il a déjà derrière lui une longue expérience du management et connaît parfaitement les arcanes des ouvertures de magasins et les conditions idéales de développement d’un réseau de points de vente. Pourtant lorsqu’il débarque à Madrid, au plus fort de la crise économique, il comprend rapidement qu’un certain nombre de codes et de comportements diffèrent de ce qu’il a pu connaître en France. Parmi les éléments qui le frappent tout particulièrement lors de ses premiers mois en Espagne, il y a la notion de "zone de confort individuel". Il observe un attachement très fort au cadre de travail habituel, nettement plus fort que ce qu’il avait connu dans les équipes françaises de l’Occitane où la volonté de changer, évoluer et progresser était une constante -et un défi permanent pour les managers ! Il comprend donc rapidement que chaque changement doit être soigneusement préparé et anticipé, et qu’il doit être partiel : ne changer qu’un élément à la fois. Par exemple, un responsable de boutique pourra changer de boutique à l’intérieur de la ville, mais préfèrera éviter de changer à la fois de boutique et de ville. L’équilibre entre vie privée et vie professionnelle est aussi important que l’attachement à la ville d’origine, à tel point que lorsque le siège de l’Occitane déménagea de Barcelone à Madrid, 100% des salariés de Barcelone choisirent de démissionner plutôt que de déménager à Madrid. Il n’est pas rare non plus que des promotions soient refusées, même chez de jeunes célibataires sans enfant, lorsqu’elles impliquent un déménagement de Malaga à Madrid ou même de Madrid à Barcelone. Au-delà de ce souhait de stabilité, il observe également un fort respect de la hiérarchie et un frein naturel à l’expression des opinions vis a vis du supérieur direct. Après avoir connu 14 années d’échanges ouverts et d’opinions contradictoires exprimées par les collaborateurs à l’énoncé des idées de leur responsable, il est surpris par le peu de contestation et de challenge lorsqu’il exprime ses propres idées et projets. Si cette prudence naturelle des collaborateurs vis a vis des évolutions de poste et de l’expression d’opinions divergentes est une surprise pour Alain Harfouche pendant ses premiers mois en Espagne -c’était il y a 6 ans– c’est également un choc pour la culture d’entreprise de l’Occitane, très axée sur l’entrepreneuriat et l’autonomie de chaque salarié. Alain Harfouche apprend donc à s’adapter à ce nouvel environnement de travail, et développe peu à peu au sein de ses équipes la culture de l’Occitane. Après 6 ans d’influence mutuelle entre ses équipes et lui, il observe que le goût de l’entrepreneuriat et de l’autonomie se sont développés, que les changements et évolutions sont de plus en plus appréciés… tant qu’ils sont suffisamment anticipés et préparés. La tactique des "petits pas" A cet effet, Alain Harfouche a développé la tactique des "petits pas", en changeant une seule chose à la fois, et en avançant progressivement, sans brusquer ses équipes ni les exposer à des zones d’inconfort en permanence, de façon à respecter le tempo de chacun et permettre à ses salariés de se projeter dans leurs futures fonctions et responsabilités bien avant qu’elles soient effectives. Il a aussi augmenté sa disponibilité, laissant sa porte ouverte presque en permanence, pour que les besoins en réassurance puissent être satisfaits chaque fois que nécessaire. En contrepartie logique d’une plus grande responsabilisation de chaque salarié, il a aussi mis en place une grande transparence sur les résultats. Deux fois par an, de grands séminaires sont organisés avec tous les responsables de boutiques, pendant lesquels ils ont accès aux résultats de l’entreprise, aux comparaisons entre magasins et entre pays, et qui leur permettent d’avoir une vue directe sur les conséquences des actions menées pendant le semestre écoulé. Cet accès aux résultats valorise la participation de chacun à la marche de l’entreprise, invite aussi à la remise en cause permanente, sans jamais se contenter d’attribuer à "la crise" les éventuels résultats décevants. Si la responsabilité des salariés est ainsi davantage accentuée que dans d’autres entreprises, elle est aussi le reflet d’une responsabilité très forte de l’Occitane vis a vis de ses salariés. L’entreprise, qui a notamment assuré la sécurité de l’emploi pendant les difficiles années 2009-2014, et continué à valoriser les salaires chaque année, a démontré à ses salariés qu’ils pouvaient compter sur elle autant qu’elle comptait sur eux. Un autre moment fort de l’entreprise, sur un tout autre thème, est le dîner de fin d’année et le cadeau de fin d’année. Un moment de célébration et de partage entre les salariés de toute l’entreprise, et une tradition très ancrée et très importante pour clore l’année avant de démarrer la nouvelle ! L’expression espagnole la plus étonnante dans la culture du travail en Espagne, selon Alain Harfouche ? "Canté !", expression galicienne qui n’a pas réellement de traduction en espagnol, et qui se rapproche de "Ojala !". Ce mélange d’acceptation et de fatalité, parfois teinté d’humour, devant les événements qui arrivent. Alain Harfouche a pris l’habitude de répondre "No hay casualidades !", pour rappeler à son interlocuteur que le hasard ne joue qu’un rôle secondaire dans les événements qui nous arrivent… Les 3 conseils qu’il donnerait à un manager français qui arriverait en Espagne le mois prochain ? 1- Que ce manager français fasse l’effort de s’intégrer réellement en Espagne, de parler espagnol même s’il ne maitrise pas parfaitement la langue, sans donner l’impression qu’il est simplement de passage. Le nouvel arrivant a en effet tout intérêt à considérer qu’il est là pour 20 ans, et à construire une vision à long terme, pour lui-même, pour l’équipe et pour l’entreprise. Car s’il ne lutte pas contre l’image de l’expatrié qui reste 3 ans puis s’en va, il prend le risque de voir certains collaborateurs attendre patiemment la fin des 3 ans plutôt que de mettre en place les changements souhaités. 2- Qu’il n’hésite pas à bousculer les collaborateurs dans leur confort. S’ils sentent que le manager met tout son cœur dans le mouvement et dans l’invitation à prendre plus de liberté et d’autonomie, ils acceptent le challenge avec enthousiasme. Il y a un équilibre gagnant-gagnant à chercher et à trouver entre le manager et son équipe… Que ce soit en Espagne ou dans un autre pays ! 3- Qu’il n’hésite pas non plus à décider, choisir, trancher. L’autorité ne peut disparaître totalement au profit de l’autonomie, et c’est sans doute plus vrai en Espagne que dans d’autres pays européens. Les collaborateurs attendent du chef qu’il décide, même s’ils apprécient de gagner en autonomie et initiatives. Propos recueillis pour lepetitjournal.com par Laure Helfgott, coach certifiée HEC Paris et fondatrice de Zenon Coaching www.zenoncoaching.com. Cette interview se place dans le cadre de l'étude qu'elle mène à Madrid, en partenariat avec lepetitjournal.com et La Chambre, sur l'influence de la culture espagnole dans les pratiques managériales des dirigeants français en Espagne.
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AuthorLaure Helfgott Archives
October 2020
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