par Laure Helfgott
Patrick Jozon a commencé à travailler au Nigéria comme coopérant auprès de la Compagnie Française d’Afrique Occidentale, où il a passé quelques années passionnantes dans les conditions assez sommaires du Nigéria de l’époque : sans eau courante, et très peu d’infrastructures. Lorsqu’il retourne en France, c’est pour occuper un poste dans les Ventes chez Air Liquide, premier contact avec ce groupe industriel dans lequel il évolue depuis plus de 30 ans.
Il part au Canada une première fois pendant 3 ans, comme responsable du marché alimentaire, puis revient en France occuper différents postes à Nancy, Nantes et Lyon. Il retourne quelques années plus tard au Canada, avec sa femme et leurs 3 enfants, puis un quatrième qui naît canadien, et ils y passent 8 belles années. Ce pays leur plait tant qu’ils choisissent de prendre la nationalité canadienne, et envisagent de s’y installer définitivement. Mais la perspective d’un douzième rude hiver canadien n’est pas du goût de toute la famille, et ils rentrent finalement en France pour une durée très réduite, car un nouveau challenge attend Patrick Jozon en Italie, comme directeur de la filiale. Il reste 6 ans à ce poste, découvre les Italiens, leur talent pour la négociation, l’amplitude de leurs variations d’humeur, et leur raffinement omniprésent. Lorsqu’il a quitté l’Italie pour l’Espagne, de nombreuses personnes lui avaient dit "Tu connais l’Italie, donc tu vas très vite t’adapter à l’Espagne !". Que nenni. Patrick Jozon découvre que ces deux pays n’ont absolument rien à voir, et que c’est très bien ainsi. Il a trouvé en Espagne une plus grande "lisibilité" des individus, un côté plus direct qu’en Italie où la négociation est un sport national. Les relations au travail lui semblent aussi plus simples en Espagne, où la hiérarchie est respectée, les responsabilités acceptées, et les niveaux d’humeurs un peu moins variables qu’en Italie. Mais Patrick Jozon appréciait l’esprit d’entreprise italien, et la capacité à oser et à prendre des risques. L’optimisme Ce qui le frappe en premier lieu, c’est l’optimisme espagnol et la conviction que "on s’en sortira toujours", qui semblent si décalés dans l’ambiance morose de crise européenne : les Espagnols voient chaque année depuis 7 ans les bourgeons de la reprise apparaître, annonçant très certainement la fin de la crise. Et ces bourgeons-là, même s’ils ne donnent finalement pas les fruits escomptés, suffisent à leur donner l’énergie pour parcourir le prochain kilomètre. Ce même optimisme, selon Patrick Jozon, crée un enthousiasme au travail qu’il n’avait pas connu depuis longtemps, et une tendance à dire "oui" à toutes les bonnes idées, et à se mettre en mouvement. L’optimisme, comme toutes les qualités, a aussi sa zone d’ombre : poussé à l’extrême, il signe parfois un manque de réalisme qui peut aussi freiner les difficiles mesures anti-crises qui sont parfois nécessaires. A cet égard, Patrick Jozon se souvient avoir été très impressionné par les mesures anti-crises décidées au Canada en 1995. Alors confronté à la chute des prix des matières premières, et alors même qu’il avait lourdement investi dans des programmes d’infrastructures au cours des années précédentes, le Canada s’était retrouvé en grave difficulté économique, avec un poids de la dette extrêmement lourd : 68% du PIB en 1995. Dix ans plus tard, cette dette ne représente plus que 33% du PIB, et le service de la dette est passé de 35% des revenus fédéraux à 15%. Outre le courage de mener de profondes réformes structurelles, le Canada avait eu l’intelligence d’y faire adhérer les Canadiens par le biais d’une communication simple et puissante : "ne pas laisser nos factures à nos enfants". Patrick Jozon observe que c’est sans doute cette capacité du Canada à mener des réformes structurelles lorsqu’il s’était trouvé "au pied du mur" qui lui permet aujourd’hui de moins souffrir de la crise que les autres pays occidentaux. Les racines Un autre élément a particulièrement marqué Patrick Jozon après ses 11 années en Amérique du Nord : le poids des racines. Là où les Canadiens et les Américains montrent peu de racines ou d’attachement à leur région d’origine, les Européens, et peut-être en particulier les Espagnols, montrent un lien extrêmement fort. Cet entretien a lieu le 20 mars et les bureaux sont vides : pour le Pont de la San José, la grande majorité des salariés sont partis dans leur "pueblo" pour quatre jours de pont, retrouver leur famille et leurs attaches. Ce sont peut-être justement ces racines qui permettent à l’optimisme de résister même en temps de crise : outre la forte solidarité entre les générations, l’attachement aux origines permet aussi de se souvenir que l’Espagne a connu bien d’autres crises et que bon an mal an, "on s’en sortira toujours". Le prochain challenge de Patrick Jozon : "el camino hacia la excelencia comercial" L’entreprise a vu ses ventes diminuer très fortement depuis le début de la crise, entrainant des réductions de coûts inévitables et des efforts importants de la part de tous les salariés. L’implication des partenaires sociaux et les efforts de communication ont permis de réaliser ces changements sans contestation majeure ni grève, mais ont laissé néanmoins des traces sur le niveau de compréhension et d’adhésion à la stratégie de l’entreprise. Le challenge est donc désormais de souder les équipes autour d’une vision commune, et de relancer les efforts de vente dans une dynamique positive. Patrick Jozon s’avoue impressionné par ses équipes espagnoles : "Je les admire beaucoup. La plupart d’entre eux ont des proches au chômage, leurs enfants ont beaucoup de mal à trouver du travail, mais ils ne se découragent jamais et avancent, avec optimisme. Et ils arrivent même à profiter de ce que le présent offre". L’expression espagnole la plus révélatrice de la culture du travail en Espagne, selon Patrick Jozon ? "Vamos !", qui constitue un joli résumé de l’attitude au travail en Espagne : la capacité à se mettre en marche, littéralement. Les 3 conseils qu’il donnerait à un manager français qui arriverait en Espagne le mois prochain ? - Faire le tour des clients et des opérations pour pouvoir établir son diagnostic. Un dirigeant dispose de 6-8 mois pour le faire, et pour mettre en place les premières actions. S’il attend davantage, il prend le risque de manquer d’impact, et de créer du flottement dans l’entreprise. La première décision étant notamment celle de continuer ou non avec le même comité de direction, et la seconde celle de choisir les 3 axes de travail prioritaires pour les prochaines années. - Apprendre rapidement l’espagnol. - Comprendre la politique locale. Lire le journal espagnol tous les jours, car la politique joue un rôle important, au niveau national comme au niveau des communautés. Propos recueillis pour lepetitjournal.com par Laure Helfgott, coach certifiée HEC Paris et fondatrice de Zenon Coaching www.zenoncoaching.com. Cette interview se place dans le cadre de l'étude qu'elle mène à Madrid, en partenariat avec lepetitjournal.com et La Chambre, sur l'influence de la culture espagnole dans les pratiques managériales des dirigeants français en Espagne. (www.lepetitjournal.com - Espagne) Mercredi 8 avril 2015
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October 2020
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