Stéphanie Haye a commencé à travailler chez Citroën où, en plus d’être la première femme de son département, la plus jeune, et la seule étrangère de sa région, elle devait gérer une équipe de 40 agents des concessions de Valence et des Baléares. Devant ce challenge et en dépit de ses nombreux "handicaps" - femme, jeune, française -, elle a fait un chemin remarquable et remarqué, plaçant la barre haute pour ses successeurs. Elle se souvient encore de son étonnement quand ses interlocuteurs valenciens disaient "oui" lorsqu’ils pensaient "non", ou lorsque les femmes de ses collègues tenaient absolument à faire sa connaissance.
Stéphanie Haye a eu l’intelligence de l’humilité, se plaçant systématiquement dans le langage et les préoccupations de son interlocuteur, pour ne jamais paraître "prépotente", hispanisme qui vient à Stéphanie malgré elle pour parler de l’arrogance dont les Français sont parfois accusés. Elle gagne peu à peu la confiance de ses équipes et de sa hiérarchie, misant sur sa grande capacité de travail, sur son professionnalisme et sur sa capacité à s’adapter à son nouvel environnement professionnel. Douze ans après son arrivée en Espagne, Stéphanie Haye se voit plus espagnole que française, lâchant même parfois à ses interlocuteurs en provenance de l'Hexagone : "Vous, les Français…", tant sa vie et son travail sont imprégnés par l’Espagne. La notion de distance dans le monde du travail : une différence très marquée entre la France et l’Espagne Avec le recul de ses nombreuses années en Espagne, Stéphanie Haye observe qu’une des principales différences entre le management en France et le management en Espagne se concentre sur la notion de distance. De son point de vue, les Français ont tendance à mettre de la distance dans les relations professionnelles, avec le vouvoiement, le serrement de main, les émotions savamment contenues, séparant très nettement la vie professionnelle de la vie privée, et n’essayant pas de sympathiser avec leur hiérarchie. Une attitude française qui pourrait se résumer ainsi : "Je fais mon travail, puis je rentre chez moi". Les Espagnols au contraire ont une frontière beaucoup plus légère entre vie privée et vie professionnelle. Il est naturel pour eux de sympathiser avec le chef, que les conjoints se côtoient, d’aller prendre un verre après le travail, ou de s’envoyer des messages whatsapp le weekend. Le vouvoiement est rarissime, et la bise est de mise dès le premier rendez-vous. Cette différence nette explique, selon Stéphanie, bon nombre de malentendus entre Français et Espagnols : les premiers prennent pour de la flagornerie le fait de sympathiser avec le patron, tandis que les seconds voient de l’arrogance dans le fait de ne pas aller saluer son chef lorsque l’on passe près de son bureau. L’imbrication entre vie professionnelle et vie privée en Espagne a également pour conséquence une plus grande solidarité entre les salariés, et parfois aussi entre les familles des salariés. Contrairement au comportement assez individualiste des Français, les Espagnols ont le réflexe de se serrer les coudes dans les situations difficiles comme dans les succès. Son cheval de bataille : la notion de temps et de délai ! Si Stéphanie Haye apprécie beaucoup la distance réduite, le tutoiement, la proximité naturelle entre collègues et hiérarchie… au point de trouver parfois très froides les relations professionnelles en France, elle a en revanche davantage de mal à s’adapter à la conception espagnole du temps et des délais. Il lui est arrivé de dire à ses équipes : "Personne ne sortira d’ici tant que ce projet ne sera pas fini et validé !" tant il lui semblait difficile d’obtenir les résultats autrement que par la pression. Et dans ces circonstances, miraculeusement, la créativité se libère, les équipes se soudent, et les délais sont respectés. Et l’équipe entière sort ensuite prendre un verre, une fois le travail achevé. Comme s’il fallait une dose de compression forte pour aboutir au résultat escompté, là où des équipes françaises seraient peut-être plus autonomes. Ou peut-être pas… Le rituel de LVS2 "El loco vendiendo sabiduria" Outre les pots d’arrivé et de départ célébrant chaque personne et sa collaboration dans l’agence, quelle qu’en soit la durée, un grand tableau accueille les salariés, à l’entrée de l’agence, sur lequel sont affichées des photos polaroïd de tous les salariés dans des poses de "loco", qu’ils soient freelances, stagiaires, salariés, mascottes, ou anciens collaborateurs. Propos recueillis pour lepetitjournal.com par Laure Helfgott, Coach certifiée HEC Cette interview se place dans le cadre de l'étude qu'elle mène, en partenariat avec lepetitjournal.com et La Chambre, sur l'influence de la culture espagnole dans les pratiques managériales des français en Espagne. Cette étude sera présentée lors d’une conférence à La Chambre fin 2014.
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AuthorLaure Helfgott Archives
October 2020
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