par Laure Helfgott
Cette carrière dans une très grande entreprise ne lui était pas exactement prédestinée : Xavier Rouland est issu d’une grande famille de la télévision française et a passé son enfance et son adolescence sur les plateaux télé de Casimir à l’Heure de Vérité en passant par RécréA2 ou encore Le Grand Echiquier, se mouvant dans ce milieu comme un poisson dans l’eau, mais sans avoir réellement l’envie d’y rester.
Après un bac scientifique et passionné de biologie, il commence par un Deug B à Versailles, mais s’aperçoit rapidement que ce n’est pas non plus sa tasse de thé, et débute alors des études d’Economie et Finance Internationale à la Sorbonne. Une longue coopération au Togo lui offre un choc culturel vivifiant : les apprentissages qu’il y fait sont les plus intenses de sa vie, il y comprend que "rien n’est vrai, tout est relatif", et se découvre une passion pour les enrichissements issus des confrontations de cultures et des découvertes de nouvelles frontières. Après un passage dans la Finance chez BNP, et pas très enthousiasmé par le milieu, il se tourne vers EDF qui lui propose d’emblée des responsabilités internationales, d’abord comme chef de cabinet du Directeur International, puis comme Country Manager en Espagne. Lorsqu’il arrive à Madrid en 2008, il y a 50 personnes dans la filiale espagnole et quelques trop rares contrats de clients. Par le biais de rachats de société et d’un joli élan de croissance interne, le nombre de salariés et de contrats est multiplié par 4 en 4 ans, et atteint 220 personnes en 2013. Xavier Rouland constitue une équipe de direction, transforme progressivement la société, fidélise les meilleurs salariés des sociétés rachetées, et structure peu à peu la politique commerciale, la stratégie et les processus de travail de la nouvelle entité. En 2014, l’Espagne impose une grande réforme énergétique qui coûte des milliards d’euros au secteur de l’énergie et porte un coup rude à EDF Espagne, qui se voit contraint de fermer des sites de production et de cogénération et de se séparer de 100 personnes en quelques mois. Aujourd’hui la société compte 120 personnes et se concentre sur le modèle "Efficacité énergétique" développé pendant ces deux dernières années. "Tout est possible" Parmi les éléments qui ont le plus frappé Xavier Rouland pendant ces 7 années espagnoles, il y a la sensation que "tout est possible". Lorsqu’il a démarré en 2009, il n’aurait jamais pu imaginer les expériences qu’il a vécues, que ce soit en nombre, en diversité et en intensité. Il a vécu et touché du doigt le caractère inventif, l’énergie et la capacité d’adaptation de sociétés entières, devenue agiles pour répondre à des contextes incertains et mouvants. Selon lui, les deux éléments les plus saillants dans ce qu’il a perçu du travail en Espagne sont la simplicité des rapports humains et le pragmatisme. Les relations sont simples et directes, à tous les niveaux. Le marqueur du tutoiement crée certes une différence avec la culture française, mais cela ne se limite pas à cet élément. En France, il lui semble que la distance entre deux personnes est proportionnelle à la distance hiérarchique, tandis qu’en Espagne, le rapport peut être sympathique, joyeux et simple, sans apparat ni froideur, et ce quelle que soit la distance hiérarchique. Au premier abord, on peut même facilement avoir l’impression d’être l’ami de son patron. Néanmoins, cette sensation n’a rien à voir avec la chaîne de commande, très respectueuse de la hiérarchie et de la parole du chef. Ce respect des règles lui semble même plus prononcé qu’en France, mais il est dé-corrélé de la distance relationnelle. Anticiper … ou pas Le pragmatisme "presque à l’anglo-saxonne" est un autre élément saillant selon Xavier Rouland. On essaye, puis si cela fonctionne : tant mieux, et si cela ne fonctionne pas, on change de tactique. A l’opposé de ce qu’il avait eu l’occasion de pratiquer en France, renforcé par le syndrome des très grandes entreprises : un nouveau projet y commence le plus souvent par une analyse détaillée dans laquelle toutes les possibilités sont étudiées, puis tous les risques analysés sous tous les angles, avant d’envisager comment parer à tous ces risques… ce qui aboutit rapidement à un rapport très conceptuel, très beau intellectuellement, mais parfois peu opérationnel et teinté d’une forte aversion au risque. Le circuit de décision étant long et compliqué également, il s’écoule souvent plusieurs mois avant que la décision de lancement soit effectivement prise. Or à ce moment, il arrive que les données d’entrée du modèle aient changé, ce qui occasionne de nouvelles boucles d’analyses et une mécanique globale finalement assez anxiogène et compliquée. En Espagne, la démarche semble très différente. L’analyse préalable est réduite à une simple observation des choses telles qu’elles sont, sans plus de recherches. L’idée est émise, et la mise en œuvre démarre. Cela ne fonctionne pas ? On tente autre chose. Ces deux approches sont si différentes que Xavier Rouland se retrouve régulièrement dans une situation de tampon entre ses équipes espagnoles et les équipes centrales en France, à devoir expliquer aux premières pourquoi les secondes demandent autant d’informations, et aux secondes pourquoi les premières n’ont pas estimé nécessaire d’anticiper tout jusqu’au quatrième niveau de risque. En Espagne, le problème est traité lorsqu’il se présente. Pas avant. Et lorsqu’il se présente, la réaction est immédiate, créative et pragmatique. Xavier Rouland résume cette différence de culture par une image : "En Espagne, on prend de l’aspirine lorsqu’on a mal à la tête. En France, on la prend au cas où le mal de tête surviendrait". Le jour où il quittera l’Espagne, Xavier Rouland est convaincu qu’il emportera avec lui ce pragmatisme qu’il apprécie tant. L’expression espagnole la plus étonnante dans la culture du travail en Espagne, selon Xavier Rouland ? "No te preocupes". Lorsqu’il entend ces mots, Xavier Rouland commence à s’inquiéter sérieusement et à regarder plus en détail ce qu’il se passe ! Les 3 conseils qu’il donnerait à un manager français qui arriverait en Espagne le mois prochain ? 1- Observer, observer, observer, et essayer de comprendre 2- Comprendre un point essentiel : ce qui prime avant tout, c’est la relation. On peut arriver avec la meilleure idée du monde ou le meilleur produit du monde, cela n’aura aucun poids si la relation n’est pas établie au préalable. 3- Avoir des partenaires espagnols. Cela permet d’éviter des erreurs de forme, et d’aider justement la création et la consolidation des relations. Propos recueillis pour lepetitjournal.com par Laure Helfgott, coach certifiée HEC Paris et fondatrice de Zenon Coaching www.zenoncoaching.com. Cette interview se place dans le cadre de l'étude qu'elle mène à Madrid, en partenariat avec lepetitjournal.com et La Chambre, sur l'influence de la culture espagnole dans les pratiques managériales des dirigeants français en Espagne.
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October 2020
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